C’était mieux avant

Emmanuel BERNIERI
5 min readNov 12, 2020

En plein été 2020, nous étions en vacances en Normandie.

Un été de pandémie où l’on a fait semblant, pendant deux semaines, que tout allait bien et que tout ressemblait à ce qui était hier normal pour nous.

Je flânais donc dans une brocante lorsqu’un vieux journal attira mon attention : l’édition spéciale célébrant les 15 ans du périodique ‘Courrier International’, datée de 2005.

Une édition vieille de 15 ans et qui me promettait un saut dans le passé de 15 années également en présentant des articles marquants et impactants parus entre 1990 et 2005. Il s’avère que cette période correspondait aussi à mes 15 premières années de vie. Cette édition était décidément faite pour me tomber dans les mains.

Je commençai à feuilleter quelques pages de cette photographie de notre histoire contemporaine.

Les années défilèrent sous mes yeux rendus rapidement captifs : une impression de déjà-vu vint me souffler dans les bronches.

Parmi les articles lus et aperçus figuraient…

“Au sommet de la terre à Rio, la grande scène des tartuffes” (juin 1992) ;

“Maastricht, la fin d’une logique économique” (mars 1998) ;

“L’irrésistible Ascension (médiatique) de bachar al-Assad” (1999) ;

“Poutine, portrait d’un homme dangereux” (mars 2000) ;

“Clandestins, quand le Maghreb fait le sale boulot de l’Europe” (mars 2002) ;

Et, mon préféré, “Comment Pékin a dissimulé l’épidémie de pneumonie” (avril 2003). Eh oui. Ça ne s’invente pas.

Je crois que pour vous, comme ce fut le cas pour moi, notre attention et notre temps de cerveau disponible ont été consciencieusement grignotés en 2020 par l’Actualité et les bouleversements de temps longs et de temps courts qui nous ont ébranlés. Je crois donc aussi qu’en lisant ces titres, vous serez frappés par la ressemblance avec notre époque actuelle.

Les défis auxquels nous faisons face aujourd’hui sont les mêmes que ceux d’hier, que nous et les générations qui nous ont précédés avons jusqu’à présent consciencieusement rangés sous un épais tapis.

En me replongeant dans ces photographies de notre histoire mondiale récente, je ne pus empêcher la montée d’une vague de pessimisme, qui jura si parfaitement avec l’ambiance estivale qui m’entourait.

Depuis 30 ans — et certainement le double voire le triple — les problèmes qui pèsent aujourd’hui sur nos épaules continuent de prendre la poussière. Comment ne pas se sentir honteux de voir comme l’écologie, avec ses “sommets de la Terre”, est un problème de deuxième voire troisième plan ? Et que nos actions restent risibles ?

Comment regarder en face ce traité de Maastricht/Lisbonne et la volonté qu’il véhicule de bâtir l’Europe sur un modèle ultra-capitaliste, occultant le plus possible les nations et les pays, et ne pas se dire que ce modèle va droit dans le mur ?

Nous restons toujours aussi médiocres dans les solutions-pansements que nous proposons.

Ces sombres pensées m’emmenèrent un peu plus loin sur le chemin mémoriel et firent résonner dans mes oreilles cette phrase — que dis-je, ce refrain ! — qui, j’en suis certain, vous crispe tout autant que moi : “c’était mieux avant”.

En me rappelant cette phrase, je mis sur le champ de côté mon pessimisme initial pour à la place me laisser immerger par un sentiment plus froid : une colère sourde. Cette colère, elle est dirigée vers les générations de nos parents et de leurs parents dont le jemenfoutisme manifeste, dissimulé derrière l’euphorie et le confort d’un après-guerre passé sous les plus belles auspices et d’une naïveté sciemment entretenue quant aux fléaux qui nous guettaient, auront fait tant de mal aux populations, à la faune et la flore, ainsi qu’à la planète.

Que de temps perdu à adorer un mode de vie, des certitudes obsolètes et des gouvernances qui aujourd’hui devraient être ensemble assis au banc des accusés ?

Aujourd’hui, en cette année charnière qu’est 2020, un clivage générationnel profond et durable existe, j’en suis certain. Je l’explique en partie par la prise de conscience de notre génération quant aux excès des générations passées et du modèle capitaliste absurde qui régit nos vies.

Prenons les discours écologistes les plus extrémistes. Ils correspondent peu ou prou à l’antithèse de ce que prônent les années d’avant 2000 : la décroissance, une démographie et une surnatalité polluantes, des modes de consommation à repenser… Évidemment, notre génération n’est pas exempte de son lot d’incohérence, dont j’en suis un excellent représentant : alors que j’essayais de minimiser mon empreinte carbone, on m’a proposé de faire une thèse au Royaume-Uni. Et me voilà parti, sans hésiter et pour plus de trois années, à prendre l’avion comme certains prennent le bus !…

Finalement, alors que j’enrageai en pensant au temps perdu, une résurgence d’indulgence me rappela à la raison.

Ma rancœur glissa lentement mais sûrement pour se diriger vers les personnes qui ont représenté et porté la voix de nos parents. Qu’elles soient personnalités politiques, médiatiques ou iconiques, elles s’étaient engagées à être les porte-voix et les pourfendeuses des intérêts durables de nos parents et des générations entières. Elles ont finalement refusé, obstinément et pendant des décennies, d’affronter les obstacles, en les laissant pourrir et gangréner, se propager, jusqu’à atteindre les points de non-retours que nous connaissons actuellement (pensons notamment aux extinctions de masses dans le règne animal).

En 2020, encore la majorité des postes à responsabilités sont occupés par les mêmes “porteurs de voix” pour qui nos grands-parents votaient déjà. Les mêmes vieilles soupes nous sont servies, et nous les avalons paisiblement. Elles nous sont proposées comme remèdes aux désastres auxquels nous faisons désormais face : pensons ici aux mesures toujours plus grotesques qui, on nous l’assure, sauveront non seulement l’humanité mais aussi la planète !, comme la fin des touillettes en plastique pour 2025… et puis finalement 2050 pour la fin des gobelets en plastique. La planète attendra. Notre avenir et notre conscience aussi.

Je n’ai pour l’instant pas beaucoup d’espoir quant aux décennies à venir : les sacrifices que n’ont pas voulu faire les générations précédentes, nous ne sommes pas non plus prêts à les faire. Il n’y a qu’à voir les scènes ubuesques lors du confinement dans certains McDonalds où des files d’attentes de plusieurs dizaines de mètres grignotaient le pavé.

Alors je referme doucement ce magazine; symbole de la première partie de ma vie, et me dis : chiche un jour je m’entendrai dire “ah c’est mieux maintenant!”

--

--